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rencontre avec mon évêque

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Message par fleuret.paul@wanadoo.fr Mer 18 Juil - 14:57

Voici ci-dessous la lettre que j'ai envoyée à mon évêque d'alors, Georges Soubrier, le 23 juillet 2008
Père évêque,
Cette lettre va peut-être vous étonner mais voilà un mois que je pense vous l'écrire et il est temps que je la fasse.
Le vendredi 13 juin dernier a été mis en terre un prêtre du diocèse : Charles Pédron, aumônier de la maison de retraite de Savenay, âgé de 86 ans. Voilà des années que je guettais dans la rubrique nécrologique du journal l'annonce de ce décès. J'en suis soulagé et débarrassé, je l'espère, d'un grand poids.
Je vous explique pourquoi. Autour des années 50-60, Charles Pédron, alors jeune prêtre, était vicaire à Campbon où résidait ma famille. J'étais enfant de chœur comme l'étaient alors tous les gars du bourg : service de la messe le dimanche et aussi en semaine, mariages, enterrements, baptêmes, etc. De plus avec mon frère et un camarade, nous assurions des services aux prêtres le jeudi : lavage de leurs voitures par exemple. Tout cela avec beaucoup de plaisir car nous étions ainsi valorisés par l'utilité du service rendu.
Avec Charles Pédron, un grave problème s'est posé. Dans sa chambre-bureau où il nous recevait, il nous prenait sur ses genoux et se livrait à des caresses sur nous. Si nous étions en short à la belle saison, de nos genoux il avait vite glissé sa main jusqu'au sexe qu'il nous manipulait "gentiment". Attouchements sexuels donc mais jamais plus, heureusement. Nous en parlions entre copains mais jamais à nos parents. Et puis un jour, Charles Pédron a brusquement quitté la paroisse pour une autre affectation. J'ai appris il y a quelques années ce qui s'était passé : l'un de nous avait tout révélé à son père qui est allé prévenir le curé (Charles Bidet) et de là, l'évêque a été mis au courant et a muté Charles Pédron. Dans la paroisse, nul n'a été mis au courant, à ma connaissance ; je n'ai jamais rien dit à mes parents.
A 12 ans, je suis rentré au Juvénat des Frères de Ploërmel à Derval (4 ans) puis à Ploërmel (3 ans). J'ai fait le noviciat d'un an à Jersey mais n'ai pas prononcé de vœux et ai quitté les Frères. Pendant toutes ces années d'adolescence, j'ai eu beaucoup de problèmes avec la sexualité naissante, d'autant que les aumôniers des maisons de Frères étaient très culpabilisants, avec une théologie "à l'ancienne" très centrée sur le péché. Une période très dure pour moi, avec beaucoup de "péchés mortels", c'est-à-dire de masturbations et une grande difficulté à accepter mon corps sexué.
Au noviciat, j'ai raconté tout cela un jour au Frère-Maître qui m'a demandé de bien préciser les choses en me disant : "Tout cela n'est pas anodin, je préviens le Supérieur général qui met au courant l'évêque de Nantes". Sur le coup, j'ai été surpris de cette démarche car je considérais que c'était là de vieux souvenirs – malgré mes difficultés qui continuaient. Et après coup, j'ai pris conscience que le Frère-Maître m'avait sauvé. Par son geste, il m'avait posé comme victime et sorti de la question : "Pourquoi cela m'est-il arrivé à moi ? Qu'y a-t-il de spécial en moi pour que quelqu'un se soit livré sur moi à de tels actes ? A-t-il senti en moi une fragilité ? une complicité inconsciente ? etc". Le geste posé par le Frère-Maître m'a permis de sortir de la séduction où Charles Pédron nous avait enfermés, moi et mes copains. Séduction car il nous attirait en nous proposant des activités intéressantes : par exemple, c'est moi qui, sous sa conduite, imprimait le bulletin paroissial avec la Geistetner, etc. – D'autres petits faits nous semblaient bizarres. Ainsi, nous nous étions aperçus que parfois il nous suivait avec ses jumelles lors de nos jeux dans les prés autour du bourg. Une fois, un samedi soir, il est venu à la maison pour demander un service à mon frère et moi à l'heure de la traditionnelle toilette du samedi. En l'absence de douche, comme dans toutes les maisons, notre mère remplissait une grande bassine dans la salle de vie et nous nous y lavions. Il est donc tombé sur le spectacle de notre toilette un soir (par hasard ?). Je me souviens qu'il est revenu plusieurs fois à une telle circonstance, toujours par hasard… Et un jour, il m'a posé une question que je n'ai pas comprise : "Ca ne te gêne pas de voir tes sœurs nues ?". J'avoue ne m'être jamais posé la question : en famille, tout était simple et sain.
Après avoir quitté le noviciat, j'ai commencé à travailler : professeur de français et latin. Marié en 1974, tout cela s'est estompé et j'ai retrouvé l'équilibre qui avait été perturbé. Devenu visiteur de prison en 1982, j'ai rencontré des délinquants sexuels, peu au début mais au long des années, ils ont été de plus en plus nombreux : 52% au CD actuellement. Le passé est remonté à la surface. Heureusement, je faisais partie d'un "Groupe de parole" de visiteurs avec un psychiatre et j'ai vu moi-même un psychiatre pendant 3,5 ans. J'avais dans ma bibliothèque un livre offert par Charles Pédron avec sa dédicace : "A mon cher petit Paul, pour son empressement à rendre service. Ch. P." Très ambigu ! Je lui ai écrit en lui renvoyant la page de garde avec sa dédicace, je lui ai signalé que je brûlais le livre et lui ai précisé que cette lettre se voulait un geste de paix et pour lui et pour moi. Dans le Groupe de parole, les autres ont été étonnés quand je leur ai raconté cela mais je leur ai dit que sans ce geste vécu comme une libération, je n'aurais pas pu continuer ma fonction près des détenus.
Ce qui m'a sauvé, c'est aussi et surtout le climat familial très sain malgré des imperfections comme partout. Et aussi l'excellente éducation reçue au long de 8 années d'internat chez les Frères de Ploërmel. Je dois dire que jamais je n'ai senti la moindre chose pas claire du point de vue sexuel ou affectif chez les Frères et n'ai jamais entendu un de mes compagnons faire allusion à quelque chose de ce genre : de vrais éducateurs à qui je dois beaucoup. Et puis il y a des copains chrétiens qui m'ont "sauvé" : grâce à eux, j'ai expérimenté et découvert ce que veut dire être sauvé. Grâce aussi à une foi approfondie au long des années. Et j'ai la chance d'avoir reçu une bonne santé psychique et un assez bon équilibre.
Pardonner, je pense que c'est fait. Oublier : impossible. Et l'annonce du décès de Charles Pédron est un soulagement, malgré tout.
Voilà ce que je voulais partager avec vous. Tout cela montre la fragilité de l'humain (et surtout des hommes – les femmes sont plus fortes). Et cela m'a permis d'approfondir l'expérience du salut.
Recevez, Père évêque, mes sincères salutations.
Suite à ce courrier, l'évêque m'a invité à le rencontrer et m'a écouté : ce fut une rencontre très fraternelle et je lui en suis très reconnaissant. J'ai envoyé, par la suite cette même lettre au centre mis en place par les évêques à Paris, suite à quoi le nouvel évêque Jean-Paul Jammes m'a aussi invité à le rencontrer. Je lui ai raconté mon histoire : j'avais l'impression qu'il ouvrait des grands yeux et semblait découvrir une réalité qui lui paraissait incroyable. Je lui ai suggéré ceci : que le diocèse mette en place un groupe de parole pour des victimes de prêtres agresseurs sexuels, groupe animé-supervisé par un psychiatre hors Eglise et payé par le diocèse. Ce groupe permettrait à des victimes anciennes ou plus récentes de parler, de se libérer de ce qui reste un poids même après des années. je pense - et je le lui ai dit - qu'il faudrait 2 groupes : un pour les hommes et un pour les femmes. Voilà 2 ans environ que j'attends une réponse de l'évêque : je crains qu'il n'y en ait jamais ! auquel cas, je considère que l'évêque est en faute !

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Message par Jean-Luc HERY Ven 5 Juil - 23:45

Merci pour ce superbe témoignage, Paul.
Quand j'ai le temps, je redescend le fil du forum pour voir les anciens posts. Il aurait été dommage que je ne tombe pas sur le tien.
J'aime beaucoup la "simplicité" et la précision avec laquelle tu décris ces événements.

Encore une fois, on retrouve la technique du curé déplacé, un petit déplacement et hop il va oublier ses pulsions criminelles !

Qu'est-ce que je me retrouve dans l'expression : "une grande difficulté à accepter mon corps sexué". Tu ne peux pas savoir à quel point !

Ce qui est super c'est que tu as eu la liberté d'en parler et que la réaction du Frère-maitre a été fantastique dans ce qu'elle impliquait symboliquement ... tout ce bon nombre d'évêques actuels (en tous cas mon évêque de Versailles) sont incapables de faire: entendre, réagir promptement, prendre des mesures pour bien faire comprendre émotionnellement qui est le coupable et qui est la victime.

Je retrouve aussi le côté séducteur de l'agresseur.

Et je comprends bien (ou crois comprendre bien) le besoin de brûler le livre cadeau. Par ce geste symbolique tu te détachais de lui et de sa séduction, tu lui montrais que tu n'étais pas dupe de son petit jeu.

Merci pour ce partage Smile

Jean-Luc HERY
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